Abiyé doit être mis à l’ordre du jour du CPS

Le Conseil de paix et de sécurité devrait consacrer toute l’attention nécessaire à la détérioration de la sécurité dans la région d’Abiyé.

La réunion qui devait avoir lieu le 12 mars 2024 entre les ambassadeurs du Conseil de paix et de sécurité (CPS) au sujet de la situation à Abiyé a été annulée en raison de problèmes de calendrier, de la suspension du Soudan des activités de l’Union africaine (UA) et de la demande officielle de report de la part de Khartoum, qui a fait valoir que la question était déjà prise en charge au niveau bilatéral. 

Ce n’est pas la première fois qu’une telle chose se produit. Les discussions avaient déjà été repoussées en 2023, alors que la situation à Abiyé était inscrite au programme indicatif annuel du CPS et malgré les affrontements meurtriers qui avaient secoué la région. En 2022, les combats entre les tribus Ngok Dinka et Misseriya avaient causé la mort de plus de 40 personnes. En novembre 2023, des inconnus armés avaient tué 32 personnes à Wuncuei et Nyiel.

En dépit de la précarité de la sécurité, de la contestation de son statut et de nombreuses questions en suspens, la région d’Abiyé n’a fait l’objet d’aucune discussion au Conseil depuis le 29 septembre 2022. On peut donc se demander si les efforts et l’attention accordés à la région sont à la hauteur de la gravité de sa situation.

Quels sont les enjeux ?

La crise à Abiyé est due à des tensions séculaires dans les relations entre les Ngok Dinka et les Misseriya, à la gestion des ressources naturelles et à son statut administratif. Jusqu’à présent, les efforts internationaux ont contribué à la démilitarisation et à un contrôle administratif et politique. Ces efforts, de même que le déploiement de la Force intérimaire de sécurité des Nations unies pour Abiyé (FISNUA) pour la protection des civils, ont contribué à contenir la violence. Toutefois, ils n’en ont pas nécessairement résolu les causes sous-jacentes de leur récurrence. 

La crise à Abiyé s’explique aussi par la gestion des ressources naturelles

Si les principales tensions ont pu être apaisées grâce à la médiation qui a suivi les combats d’avril 2022 entre les deux tribus concernées, des affrontements persistent, parfois importants. Le litige entourant la localité frontalière d’Annet, par exemple, a provoqué des frictions entre les Ngok Dinka et les Twic Dinka.

En janvier 2024, de nouveaux heurts à Nyinkuac, Majbong et Khadian ont fait plus de 50 victimes, dont deux Casques bleus : un ghanéen et un pakistanais. Les données du projet Armed Conflict Location and Event Data Project (ACLED) indiquent que pas moins de 136 personnes ont perdu la vie lors d’incidents survenus dans la région d’Abiyé entre janvier et février 2024.

Affrontements armés dans les villages de la région d'Abiyé du 3 décembre 2023 au 4 février 2024



Source : ACLED

Si les tensions dans la région sont loin d’être nouvelles, trois aspects méritent une attention particulière. D’abord, l’absence apparente d’efforts de la part des forces de sécurité gouvernementales pour endiguer les attaques menées en représailles. En conséquence, certains groupes, notamment les Ngok Dinka, ont assuré leur propre défense et considéré que le gouvernement s’était rendu complice de certaines attaques. Deuxièmement, le nombre d’attaques à l’approche des élections de 2024 au Soudan du Sud tend à augmenter, les différents groupes rivaux essayant de prendre le contrôle d’un maximum de territoires. 

L’inaction des forces de sécurité gouvernementales face aux attaques exige que l’on s’en préoccupe

Un troisième facteur a été révélé par les attaques en janvier 2023 des membres armés de la tribu Ngok Dinka à Rumamier, en représailles aux meurtres perpétrés par les milices Twic Dinka et Bul Nuer la semaine précédente. Les vagues d’attaques contre des tribus rivales sont non seulement de plus en plus liées aux cycles annuels de pâturage, mais sont aussi désormais motivées par le désir de venger d’anciens meurtres non résolus. 

Ce qui soulève des questions concernant, par exemple, l’assassinat du chef Ngok Dinka, Koul Deng Koul, et la nécessité d’une gestion à long terme de son impact sur les relations entre les communautés et sur leur perception de la justice.

La nécessité d’une plus grande attention de la part du Conseil

La situation est propice à une escalade des violences ou à une récurrence des crises sécuritaires, à moins que des efforts ne soient délibérément entrepris pour y remédier. Par ailleurs, le flou entourant le statut administratif du territoire ne fait qu’aggraver la crise. Il est donc important que le CPS accorde à Abiyé toute l’attention nécessaire pour éviter que la situation ne devienne inextricable. Le Conseil devrait toutefois tenir compte du caractère dynamique du contexte et des trois éléments de solution ci-après.

Il s’agit premièrement de cibler le niveau local pour une réconciliation durable entre les populations Twic Dinka, Ngok Dinka et Misseriya. Bien qu’elle ne relève pas nécessairement du champ d’action direct des institutions multilatérales compte tenu de la nature stratifiée de ce type de processus et des enjeux de souveraineté, l’implication du gouvernement ougandais dans le règlement des tensions d’avril 2022 entre les Ngok Dinka et les Misseriya constitue un bon modèle.

Reproduire le succès d’une telle approche sous les auspices de la FISNUA permettrait de réduire les tensions. Compte tenu de la multiplicité des causes du conflit, d’autres solutions pourraient s’avérer nécessaires, mais elle permettrait d’éviter que les tensions intertribales sous-jacentes n’aggravent la crise. 

La recherche d’une solution durable passe par le règlement rapide du statut d’Abiyé

Ensuite, il faut également trouver des solutions à long terme fondées sur le partage des ressources et qui reconnaissent et intègrent les avantages de la coopération et de l’interdépendance entre les tribus de la région. Les affrontements et les crispations liés au partage des pâturages et de l’eau et à la délimitation des frontières sont généralement cycliques, liés aux besoins saisonniers en pâturages qui entraînent le franchissement des frontières. 

Enfin, l’appel lancé en 2020 par le CPS en faveur d’un règlement rapide de la question du statut d’Abiyé et d’une coopération accrue entre le Soudan du Sud et le Soudan doit rester au cœur de la recherche d’une solution durable. Cette dernière est étroitement liée à la gestion des conflits auxquels sont confrontés les Soudanais. 

Tant que la guerre au Soudan ne sera pas résolue, il sera difficile de garantir et de maintenir l’intérêt des parties prenantes soudanaises pour la recherche de la stabilité du territoire d’Abiyé. Au vu de l’impact considérable qu’elle a sur les autres problèmes du Soudan, la crise à Abiyé devrait constituer l’une des principales préoccupations du Conseil.

Étant donné que la Namibie n’a pas inscrit la question à l’ordre du jour pour le mois de mars, les présidences suivantes du Conseil, soutenues par son secrétariat et le département des Affaires politiques, de la Paix et de la Sécurité, devraient sans tarder mettre Abiyé à l’ordre du jour.

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