Deux ans de transition au Tchad, peu d’avancées et beaucoup d’inquiétudes

Après deux ans de transition au Tchad, les objectifs de réconciliation et de retour à l’ordre constitutionnel restent encore incertains.

Ce mois d’avril 2023 marque les deux ans de la transition au Tchad. Instaurée après le décès du président Idriss Déby Itno, cette transition avait surtout pour objectifs la réconciliation des Tchadiens et le retour à l’ordre constitutionnel. L’ouverture et l’inclusivité devaient être au centre du processus.

Or, en dépit de certaines avancées, il reste de nombreux défis à relever pour atteindre les objectifs de départ. Dans le contexte d’une transition censée garantir la stabilité, cette situation interpelle tant les acteurs politiques tchadiens que les partenaires du pays.

Malgré un rapport d’étape élogieux du gouvernement sur l’avancement du processus et les réalisations enregistrées, une analyse de la trajectoire de la transition tchadienne soulève des inquiétudes quant à la stabilité et la réconciliation attendues. Elle présente en outre peu de gages sérieux d’un retour prochain à l’ordre constitutionnel et d’un transfert du pouvoir aux civils.

En effet, au niveau interne, la société tchadienne reste fragmentée et la classe politique est tout aussi divisée. Quant aux autorités de transition, elles semblent mettre résolument le cap sur les échéances à venir, à savoir la proposition d’une nouvelle Constitution, le référendum et les élections. Dans cet élan, les appels à l’inclusion et au maintien du dialogue lancés par les acteurs politiques et civils, ainsi que les partenaires du Tchad, ne semblent guère entendus.

La société tchadienne reste fragmentée et la classe politique est tout aussi divisée

Les pourparlers de Doha et le Dialogue national inclusif et souverain (DNIS) peuvent être considérés, à juste titre, comme des avancées notables. Ces deux rendez-vous devaient en effet cimenter la réconciliation et poser les jalons de la refondation du Tchad. Cependant, ils ont laissé en marge plusieurs acteurs majeurs des sphères politico-militaires, politiques et civiles. La fin du dialogue en octobre 2022 a été marquée par des événements sanglants qui continuent de hanter l’opinion publique tchadienne. Face à cette situation, les gestes des autorités publiques pour tenter d’apaiser les tensions sont jugés largement insuffisants.

En ce qui concerne le retour à l’ordre constitutionnel et la passation du pouvoir aux civils, malgré des jalons posés dans le sens d’une nouvelle Constitution, les acteurs politiques font les mêmes constats quant à l’inclusivité. Une commission d’élaboration de cette Constitution et une commission d’organisation du référendum constitutionnel ont été mises en place en janvier 2023 et sont actuellement à pied d’œuvre. Cependant, ces commissions sont largement dominées par les autorités de transition et ne sont pas représentatives de la classe politique nationale.

Pour les autorités de transition comme pour les partenaires du Tchad, la stabilité constitue la principale raison d’être de cette transition que beaucoup d’observateurs nationaux et internationaux avaient considérée comme un passage en force anticonstitutionnel.

Or, deux ans plus tard, les grands mouvements rebelles de l’extrême nord, tels que le Conseil de commandement militaire pour le salut de la République, le Front pour l’alternance et la concorde au Tchad ou le Groupe d’autodéfense de Miski, sont toujours actifs. Une autre rébellion, le Mouvement pour la révolution du Sud, se serait également constituée dans la zone frontalière avec la République centrafricaine.

Une compréhension de la stabilité axée sur la seule capacité à endiguer les menaces sécuritaires reste très étriquée

En dehors des rébellions, les conflits communautaires ont continué et sont devenus de plus en plus sanglants. Le dernier conflit en date, qui s’est déroulé entre le 15 et le 19 avril, a fait 23 morts en moins de 48 heures.

Au niveau international, la France, l’Union africaine (UA) et la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) ont, au nom de la stabilité, fait du cas du Tchad une exception à soutenir.

La France est un partenaire clé du Tchad dans plusieurs domaines, y compris le développement, la culture et la sécurité. Dans le cadre de la coopération militaire entre les deux pays, la France est régulièrement intervenue aux côtés de l’armée tchadienne pour juguler les avancées de colonnes rebelles, notamment sous la présidence de feu Idriss Déby Itno.

À cause des conflits répétitifs dans le pays, cet aspect de la coopération entre les deux nations a progressivement pris un relief particulier. Il en résulte une compréhension de la stabilité du Tchad qui dépasse difficilement les capacités militaires. Cette situation n’a malheureusement pas changé au cours de cette période de transition. Malgré des soubresauts, la position de la France est restée figée, avec très peu d’insistance, sinon aucune, sur les droits de l’homme et sur les standards démocratiques.

L’inclusivité, la redevabilité et la justice doivent demeurer des principes directeurs

Pour l’Union africaine, la transition au Tchad reste un terrain périlleux. En effet, même si dans le fond, la passation de pouvoir au Tchad s’est effectuée en contradiction avec les dispositions constitutionnelles, l’organisation continentale a opté pour une posture de tolérance. Ce choix a fini par placer l’UA dans une situation où elle ne parvient plus à avoir de prise réelle sur le processus.

Contrairement à la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest vis-à-vis du Mali et de la Guinée, la CEEAC a adopté une position plus conciliante à l’égard de la transition tchadienne. Elle a surtout offert ses bons offices pour la conduite d’une enquête indépendante sur les événements du 20 octobre 2022. Cette enquête est importante mais une fois de plus, le total soutien de la CEEAC à la transition, en début de processus, fait apparaître la démarche de l’institution régionale comme biaisée aux yeux de certains acteurs politiques et civils.

Au vu de la situation actuelle du Tchad, il semble qu’une compréhension de la stabilité axée sur la capacité d’un pays à endiguer les menaces sécuritaires, qu’elles émanent d’acteurs externes ou de rébellions internes, reste très étriquée. Elle ne permet pas d’enclencher un processus de refondation profonde prenant en compte la cohésion sociale, les droits de l’homme et la démocratie. Une telle approche, au contraire, risque de servir de prétexte à une prolongation de la transition militaire.

Les autorités de transition et leurs partenaires doivent trouver un meilleur équilibre entre la nécessité de stabilité sécuritaire à court et moyen terme et l’impératif de stabilité politique et sociale à moyen et long terme. Dans cette quête, l’inclusivité, la redevabilité et la justice doivent demeurer des principes directeurs.

Remadji Hoinathy, chercheur principal, Afrique centrale et des Grands Lacs, ISS, et Yamingué Bétinbaye, directeur de recherche au Centre de recherches en anthropologie et sciences humaines, un think tank basé à N’Djamena, Tchad.

Image : © SANOGO / AFP

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Cette publication fait partie d’une série d’articles sur la prévention des coups d’État en Afrique de l’Ouest et au Sahel. La recherche pour cet article a été financée par Irish Aid. L’ISS remercie également pour leur soutien la Fondation Bosch et les membres du Forum de partenariat de l’ISS : la Fondation Hanns Seidel, l’Union européenne, l’Open Society Foundation et les gouvernements du Danemark, de l’Irlande, des Pays-Bas, de la Norvège et de la Suède.
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